Démarches...

Publié le par Vince

Il arrive qu'on achète une moto. Dans mon cas, c'est rare. Je suis de l'espèce fidèle. Mais ça arrive. Tous les motards connaissent ça. La tristesse de se séparer d'un amour ancien... la joie, l'excitation, l'enthousiasme exalté à la pensée d'une nouvelle compagne. Et les inévitables formalités rabat-joie qui aboutissent inexorablement, outre les emmerdements paperassiers, au "cling", doux bruit du tiroir-caisse étatique préalable à l'obtention d'une nouvelle carte grise. La moto, c'est un superbe bicylindre de chez Kawasaki, robe noire, dénomination mystérieusement érotique : "versys". Pour "versatile system"... la chose combinant un peu de l'adn des trails de la grande époque avec la facilité des routières pépères que j'affectionne, le tout dans une honnête cylindrée "père de famille" de 650 cm3. Elle m'a tapé dans l'oeil au premier regard, chez le Monsieur très sympa qui m'a accueilli un beau samedi matin d'octobre au milieu de ses pépinières, dans la banlieue de Beaurepaire (Isère) (on imagine aisément : "la banlieue de Beaurepaire"... tout un programme festif). Noire, mate, rutilante, à peine 15000 bornes pour une vielle dame campagnarde de 2008. Pas un pet, pas une égratignure, pas de poignées de kéké qui dissimulent en général une glissade honteuse, pas de garde-boue scié, tout d'origine... Jamais rencontré cette demoiselle avant, mais c'est le coup de foudre. L'ancien proprio me laisse son ancienne bécane, qui devient ma nouvelle, ma régulière. Ensuite, pendant deux jours, je me délecterai sur Internet de la presse spécialisée qui vante les mérites de ma petite chérie, ne tarissant pas d'éloge sur son bi coupleux et tolérant, son autonomie dromadairiale, sa tendance appuyée à avaler du lacet et de la départementale... tout ce que j'aime. Je l'aime déjà tellement, ma jolie jument, que je veux régulariser illico. Jeter mon amour à la face du monde. Passer devant Monsieur le maire de mes deux mairies, comme disait autrefois un autre de mes amours, Léo, ("on couche toujours avec des morts, Pépéééeeeee..."). Alors, à peine rentré chez moi, je m'attelle à la tâche que je sais d'avance désagréable de demander une nouvelle carte grise à mon nom. Pour les gens dans mon genre, toute formalité administrative revêt le caractère d'une épreuve... Depuis tout petit, la perspective d'inscrire une adresse sur une enveloppe avant de la jeter à la boite aux lettres me liquéfie d'angoisse. Je le sais. J'anticipe. Je sue. Informé que l'administration se modernise (triste lot commun, la modernisation), je me connecte donc à ce qui était autrefois le site de la préfecture de l'Isère. Ça me rappelle le temps d'avant, tu sais, quand il y avait en France des services publics, qu'ils étaient ouverts au public, et que l'Etat se souciait encore des citoyens, pas seulement des actionnaires.Bref... le truc me renvoie sur un machin qui porte un acronyme à défaut d'un nom : "ants". Ça veut dire, paraît-il, agence nationale des titres sécurisés. Et ouais, mon pote, préfecture, a pu. Service cartes grises, tu sais le truc où on te faisait attendre derrière un guichet pendant deux heures, le temps de voir défiler la misère du monde au même guichet pour obtenir un titre de séjour, mais où tu finissais par rencontrer un vrai fonctionnaire, en chair et en os, mais qui coûtait cher évidemment, fallait le payer, et puis nourrir sa famille etc. Et ben, a pu. Non , toutes les démarches sont maintenant informatisées, qu'on vous dit. Donc je navigue, je surfe... mais comme la brillante initiative numérique vient tout juste d'être généralisée, le système n'est pas vraiment opérationnel. On me refoule. J'y retourne. On me blackboule. J'y reviens, pleine bourre. Ça prend toute la soirée, mais je finis par obtenir une attestation, comme quoi j'ai bien demandé ma carte grise d'honnête citoyen. Honnête d'ailleurs tendance pigeon, parce que j'ai quand même dû verser à l'Etat 160 euros de carte grise, juste pour changer le nom sur ladite carte grise...

A pas cher, le droit de tailler la route...

A pas cher, le droit de tailler la route...

Et c'est là que la magie opère. Parce que, et là je dois faire un détour par la règlementation en vigueur afin qu'on me comprenne bien : depuis juste avant que j'aie passé mon permis, une réforme humaniste et désintéressée  impose que les nouveaux permis moto ne puissent, pendant deux ans, conduire des cylindrées excédant une puissance de 47 chevaux. Or, n'ayant jamais pris la peine de faire le stage (payant, évidemment) en moto-école ouvrant le droit à toutes les cylindrées, je suis encore soumis à cette obligation dictée, cela va sans dire par le souci brûlant de la sécurité routière qui anime nos dévoués édiles. Or la magnifique perle noire versatile et joueuse que je viens d'acquérir n'est pas bridée, puisque son ex conduisait des motos depuis plus longtemps que moi, et n'était donc pas victime de la sollicitude des bureaucrates d'Etat. Prenant contact avec le plus proche concessionnaire Kawasaki, le brave commerçant m'assure que le bridage sera expédié en une heure, pour la modique somme d'une petite centaine d'euros. La passion a un prix, je me suis fait à l'idée depuis déjà quelques temps. Au jour dit je me pointe chez M'sieur Kawasaki. Ce jour-là, le jap n'est pas disert, limite pas sympa. Il se présente sous l'aspect d'un jeune glandu qui me demande, glacial, de lui remettre les clefs de la moto et la carte grise, et d'attendre qu'on ait passé la bride au cou de Black Pearl. Et c'est là que le drame se noue. "Faudra pas oublier de refaire la carte grise". Interloqué (tu savais pas que j'en connaissais des comme ça, de mots, hein Charly), je rétorque (pareil, là, t'es scotché au buffet de grand-mère : "rétorque") : "Euh, Euhhh (oui, je suis quand même secoué, et dans ces cas là, j'hésite), c'est à dire que la carte grise, je l'ai demandée il y a une semaine, et que je l'ai reçue ce matin... c'est pas un peu rapide de devoir la refaire? " A quoi le demeuré désagréable me répond que si y a bridage, y a nouvelle carte grise. La furaxitude monte en moi de quelques degrés, et je trouve dans la chalandise un commercial un peu plus civilisé et au vocabulaire un peu plus étendu que le réceptionniste, à qui je demande confirmation. Le confirmateur confirme, avec un peu plus de mots, et une empathie que j'attribue volontiers à sa formation commerciale, qui contraste avec la noble rudesse du tempérament mécanique précédent. Là, civil comme à l'ordinaire, je m'étonne que personne ne m'ait prévenu lors de la prise de rendez-vous, ce qui m'eût évité de demander prématurément une carte grise qu'il faut immédiatement refaire. Mais le jeune homme me répond, toujours avenant, que j'ai dû tomber sur un de ses collègues, passque lui, parole, il m'aurait prévenu, et moult fois plutôt qu'une. D'ailleurs, ajoute-t-il en guise de consolation, "une personne sur deux se fait avoir". Dans mon esprit, la phrase résonne un peu comme "une tartine sur deux tombe du côté de la confiture". Enfin, il est clair que je me suis fait enfler.

Quelques jours plus tard, je suis à nouveau sur la machine infernale de l' "ants", pour demander une modification de la carte grise en fonction de la modification de la machine (une cosse enlevée grosse comme mon petit doigt) : 50 euros de plus, qui viennent s'ajouter aux 160 déjà payés... Et tu vas rigoler, Bébert, tel que je te connais, et avec ton sens aigu de l'absurdité des choses humaines : lorsqu'il me prendra l'idée de revenir à l'état initial de ma brêle comme elle était quand je l'ai achetée, sans bridage, avec l'intacte puissance de ses 69 chevaux, et ben oui, t'as deviné : faudra que je revienne voir M'sieur Kawasaki, que je lui lâche à nouveau 100 boules pour qu'il me remette le susucre qu'il vient d'enlever, et ensuite que je retourne titiller l'ants, moyennant encore 50 boules, pour qu'il me fasse une nouvelle nouvelle carte grise qui correspondra à ma moto dans l'état où je l'ai achetée. C'est pas beau la sécurité routière? Et en plus ça rapporte, à M'sieur Kawa et à l'Etat voyou. Y a juste moi, en pékin de base (j'ai pas dit jap, hein, je l'ai déjà faite celle-ci), qui me dit que quelque part, on a dû me la faire à l'envers...

Publié dans Moto, bécane, brêle

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