Grandaddy au pays des modestes (1) Prologue...

Publié le par Vince

 

"Celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"

Robert Zimmerman

 

 

Au tournant des années 2000, je sortais de l'âge du rock. Je veux dire par là que l'un des enthousiasmes de ma jeunesse (enthousiasme, du grec, "transport divin", "ébranlement profond de la sensibilité de celui qui se trouve possédé par la Divinité"), commençait à refluer tout doucement hors de mon intéressante personne, d'abord sans prévenir, puis d'une façon qu'il devenait difficile d'ignorer et de traiter par le mépris. Le dieu se faisait la malle en catimini, et me laissait démuni face à l'immensité désolée de ces espaces désormais silencieux. En tout cas, fin de l'âge de pierre. Fin de la religion. Mutation anthropologique de première. Evidemment, ça se fait pas tout seul et en un instant. Encore aujourd'hui, il y a des instants de grâce : Iron Maiden ou Guns and Roses du dimanche matin, rechutes imprévisibles d'air drumming au sortir de la douche, dans une tenue que l'âge avançant rend toujours plus indécente, ébauches branlatoires d'un frétillement de l'étage inférieur à vocation chorégraphique... la seule ignominie publique à laquelle je ne me sois jamais livré restant, et depuis toujours, le chantonnement assorti de mimiques extasiées façon "route des tubes" ( comprenne qui assista aux exploits des Nuls, au mitan des années quatre-vingt). Et puis c'est le moment où j'ai commencé à jouer moi-même de la guitare. A apprendre à jouer de la guitare, je devrais dire plus justement. C'est pas encore gagné. Et puis c'est le moment où j'ai commencé à lire des bouquins sur l'histoire du rock (qui commençaient à se publier), et même à en parler sur un ton docte à des assistances choisies, pas comme rocker, hein, évidemment, même pas comme fan (ça non plus, jamais donné dans la fanitude), mais comme, accrochez-vous les mecs, comme historien. Et comme le savent tous les historiens, un phénomène qui suscite leur intérêt c'est un truc déjà passablement refroidi, ça fleure pas la grande santé en général. Bref, pour une fois j'étais à l'heure : je me désintéressais du truc au moment où le rock devenait un objet de musée. D'ailleurs, comme toujours, ça avait commencé en mystique et ça terminait en politique, comme disait Malraux, qui avait pourtant pas dû souvent écouter Video killed the radio star : depuis ces années là, pas un crétin people quinquagénaire d'aujourd'hui qui, interrogé par un autre crétin des mêmes âges, ne confesse sa dévotion pour tel ou tel groupe sixseventies, parce que ça décore chic contemporain. Pas un costard qui ne puisse y aller de sa dissertation télévisée du samedi soir sur "alors, plutôt Stones, ou plutôt Beatles"? Bref, c'est mort, comme disent les vivants, c'est à dire les adolescents qui, eux, écoutent encore de la musique en mode vibratile, fissuratoire, générateur.
 

A Londres, musée rock...

A Londres, musée rock...

— Bon, allez, accouche, Toto, c'est quoi l'objet, le motif, le thème de ton articulet, là? Tout le monde est déjà parti, y'a plus que moi.

Et ben j'y viens, mais faut me laisser le temps, moi, tous ceux et icelles qui me connaissent le savent, que je suis pas du genre locuteur précoce, et que mon outil à flinguer les détails et à longer la racontitude, c'est pas du genre saute-au-paf, qu'il y faut de la gourmandise, de la temporisation, du pousse-toi-de-là-que-je-m'y-mette, avant le grand schhplaaoouuuuuffffff...

— Bon ben je m'casse...

Non, non, d'accord. Bon, je résume : au tournant des années 2000, tout ce fourbi qu'on appelait le rock, faute de mieux, a cessé de me faire battre le cœur comme avant. D'ailleurs, c'est le moment où j'ai cessé d'acheter des CD, et où je suis passé comme tout le monde à la musique numérique, un peu comme dans les mêmes années la drague en vrai, dans la rue et dans les librairies (OK, c'est un peu personnel)  à cédé le pas à la pornographie sur internet. Mais en un étrange chant du cygne, c'est à peu près le moment aussi où j'ai pris un immense plaisir, plus désintéressé qu'autrefois, moins vital, moins urgent, à accompagner l'émergence, parfois éphémère, de quelques groupes qu'on disait "indies", (pour "indépendant", Mimile, t'es con ou tu fais exprès?) parmi lesquels, messieurs dames, les musiciens éponymes de cet article...

Grandaddy.

Et, enthousiasme, "transport divin", Dieu fut grand encore une fois.

Publié dans Musique

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