A star is born (1)

Publié le par Vince

J'aime beaucoup l'activité typiquement proustienne qui consiste à repérer, puis suivre la carrière de certaines expressions qui émergent périodiquement dans le langage courant. Langage courant : ce qu'on entend au bistro, dans le tramway, à la piscine et dans la cour du lycée. Proustien : du nom d'un écrivain français peu lu mais beaucoup cité et faisant désormais l'objet d'un culte snobinard qu'il aurait décrit lui-même avec la minutie, l'ironie, et le bâton à fouiller la psychologie sociale drôlement pointu qui caractérisaient sa conception de la vérité romanesque. Parce que, mon pote, on pourra te raconter tout ce qu'on voudra, éventuellement dans des dictionnaires amoureux (de Proust, du rock'n roll, du cassoulet aux lentilles, qu'est-ce que je disais, déjà, sur l'engouement snobinard contemporain?...), Proust n'est pas seulement le romancier de la mémoire. Bien qu'il le soit aussi, évidemment, puisque écrivain. Tiens, l'autre jour, sur France Culture, j'entendais la speakerine s'interroger gravement : "que devient le passé quand il n'est plus présent?". Ben, de la littérature, pardi. C'est la définition de base, non? Donc pour en revenir à nos moutons, que Proust ait trempé sa madeleine, c'est à peu près hors de doute. Mais, depuis que je l'ai découvert il y a une bonne trentaine d'années, par hasard, c'est à dire à l'école, merci la prof, Marcel me fait rire, et pas qu'un peu. Un aveu qui fait rire à leur tour, en général, les quelques intimes à qui je me confie, parce que eux, en général ils ont renoncé après les deux premières phrases, soit les quarante premières pages de la Recherche. Trompeuse difficulté. Proust, c'est un peu comme le ski, la moto et les échecs : deux heures d'emmerdement au début, toute une vie de bonheur après...

 

Sous les pavés, la plage

Sous les pavés, la plage

Et pourquoi je rigole en lisant Marcel, au point, la première fois que j'ai sillonné mes quatre tomes de la Pléiade, vers vingt ans, d'avoir pris des fous rires inextinguibles, et d'en redemander sans parvenir à lâcher le bouquin pendant des journées complètes alors que j'aurais eu des foultitudes de choses utiles à faire ("chose utile", selon la grand-mère du narrateur : tout sauf la lecture)? Parce que la fascination de Proust pour les comédies sociales, toutes proportions gardées et mutatis mutandis (toujours mettre un synonyme en latin, ça impressionne le chaland), c'est aussi la mienne. Pour aller vite, et pour résumer : Proust raconte comment, dans la société bourgeoise/aristocratique du début du XXeme siècle, des groupes sociaux sont en concurrence et s'efforcent de se "distinguer", en imitant des modèles disponibles sur le marché social des comportements, des goûts, et du vocabulaire. Distinction, imitation, concurrence, stratégies, on voit bien comment sociologie et anthropologie peuvent s'inviter à chaque page de la Recherche, dans chaque salon, à chaque rencontre sur la promenade des Champs Élysées, ou sur les chemins campagnards de Combray.

— Ouhlalalala, mais c'est prise de tête, ton truc... me murmure à l'oreille mon pote Bébert, ma boussole à tirer droit au but, mon ding ding à faire "court, bref, et couillosif", comme disait Ferré.

— Du calme Bébert, c'est juste l'introduction, les préliminaires (mais non gros dégueulasse, pas ce genre de préliminaires), le propédeutique, le circumlocutoire d'usage... ce que j'veux dire ...

— Dis-le alors, au lieu de touiller le concept et de repeindre la girafe, c'est qu'on se caille pendant que tu tergiverses...

— Soit : on peut s'amuser, dans la vie quotidienne et pour pas un rond, à faire son petit Proust (son Tom Proust, ouarf, ouarf). Et pas besoin de mallette genre petit explorateur, petit chimiste etc. Non, pour ça, il suffit de faire un stage au bistro ou, à défaut, autour de la machine à café dans la salle de convivialité du boulot...

— Non? Tu déconnes, là, t'es pas sérieux? qu'y me dit mon Bébert. Vivement la seconde partie, j'en ai l'eau qui dégouline de la prémolaire...

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